"Addiction" - читать интересную книгу автора (Jeudy Henry-Pierre)IIILe fumeur doit se repr#233;senter qu'il cherche #224; provoquer la mort des autres. Il doit accepter leur intol#233;rance radicale comme l'expression d'un salut communautaire alors qu'il est a priori exclu de tout partage commun de l'espace. Et si par m#233;garde il sourit en allumant une cigarette, il semble manifester son plaisir sournois de faire le malheur des autres. Sa possibilit#233; d'#234;tre courtois lui est retir#233;e puisqu'il n'est plus en mesure d'appr#233;cier les convenances. Il est somm#233; de se replier, de s'isoler, afin de reconna#238;tre qu'il n'est plus un #234;tre social. Il lui faut comprendre que s'il veut revenir #224; la vie sociale, il doit d'abord passer par l'#233;preuve d'une terrible humiliation au moment m#234;me o#249; il est en train de fumer. Ainsi doit-il s'enfermer dans des espaces r#233;serv#233;s aux fumeurs, si exigus qu'il tousse avec ses compagnons de mis#232;re qui, eux aussi, crachent leurs poumons en pompant la fum#233;e des cigarettes comme des locomotives qui ont fait leur temps. Ces espaces-l#224;, qu'on d#233;couvre dans certains a#233;roports, sont vitr#233;s de sorte que l'on peut voir les condamn#233;s s'agiter dans une #233;paisse fum#233;e comme s'ils #233;taient d#233;j#224; asphyxi#233;s. Il est vrai qu'ils ont encore la chance de pouvoir en sortir, et qu'ils sont libres de ne point y aller. On leur fournit seulement une exp#233;rience salutaire qui pr#233;figure ce que pourrait #234;tre leur sort d#233;finitif. La mani#232;re de r#233;pandre la fum#233;e de sa cigarette autour de soi est devenue un viol de l'espace public. Le fumeur est un criminel, mais il est aussi un violeur parce qu'il s'approprie un territoire qui ne lui appartient pas. Il impose sa loi en simulant quelque attention #224; l'#233;gard d'autrui pour jouer les s#233;ducteurs. Comble du vice : on a toujours l'impression qu'il lui faut un espace vierge pour jouir de sa cigarette comme si c'#233;tait la premi#232;re. Il n'ose plus envoyer sa fum#233;e dans les yeux des femmes, ce n'est plus le signe intempestif d'une d#233;claration d'amour. Il l'envoie de c#244;t#233;, il envahit l'espace par les alentours, et ses petits nuages de fum#233;e tentent d'en rejoindre d'autres pour former des anneaux de complicit#233;. D#233;sormais l'espace public a #233;t#233; conquis par les non-fumeurs, les fumeurs n'ont qu'#224; bien se tenir, ils sont sous haute surveillance. Les signes de tol#233;rance se font rares. Dans un restaurant, le tenancier a fabriqu#233; des pancartes en carton qu'il accroche au mur, au-dessus de la t#234;te des clients. Sur le recto, il est #233;crit : H#233;las, aux subtilit#233;s du civisme s'est substitu#233;e la rigueur du moralisme. On aurait pu imaginer une soci#233;t#233; dans laquelle la pr#233;venance e#251;t #233;t#233; l'arme de la bonne entente, mais la discrimination exacerb#233;e semble demeurer la r#232;gle essentielle du maintien de la communaut#233;. Qui a vraiment le pouvoir ? Les fumeurs ou les non-fumeurs ? Vous l'avez toujours eu, disent les non-fumeurs, c'est #224; notre tour de l'avoir ! Vous nous avez pollu#233; la vie pendant des d#233;cennies, c'est #224; notre tour de vous pourchasser. Nous ne sommes pas intol#233;rants, nous sommes assur#233;s d'avoir raison. Les arguments que vous osez encore nous donner, vous les fumeurs, nous les tenons pour nuls et non avenus, les n#244;tres sont l#233;gitimes et bienvenus. Donc, c'est la guerre. La raison est du c#244;t#233; des non-fumeurs, mais elle ne leur suffit pas, ils veulent la guerre pour exercer leur « nouveau » pouvoir, celui de rendre coupable le fumeur qui tue. Ce dernier doit se persuader qu'il est vou#233; #224; dispara#238;tre, que ses moyens de d#233;fense sont insens#233;s au regard des normes #233;tablies sur des fondements scientifiques pour g#233;rer un nouvel espace commun sans fum#233;e. Parfois, il faut tout de m#234;me le reconna#238;tre, l'intelligence du non-fumeur se manifeste par son absence d'interdit. Elle ne vient point de sa tol#233;rance ostensible, elle tient plut#244;t d'une r#233;sistance manifeste #224; la terreur. Le fumeur est sympathique aux yeux du non-fumeur r#233;cent parce qu'il garde, malgr#233; sa d#233;pendance, une certaine libert#233; #224; l'#233;gard du terrorisme moral qui vise son extermination. Le non-fumeur r#233;cent sait qu'il a chang#233; ses mani#232;res d'#234;tre au monde, qu'il n'est plus le m#234;me depuis qu'il a cess#233; de fumer. Au-del#224; des bonnes raisons qu'il avait de ne plus fumer, il se souvient que le jour o#249; il a allum#233; sa derni#232;re cigarette, il a assum#233; l'arbitraire de son choix. Mais il sait surtout que les non-fumeurs qui aboient les r#232;gles morales de la discrimination pourraient bien le faire en d'autres circonstances plus inqui#233;tantes encore. De la fen#234;tre, j'aper#231;ois la for#234;t, j'observe la variation des teintes vertes ou ocres des arbres en me disant que les premiers signes de l'automne ont fait leur apparition. Je pense alors que si je ne fumais pas, je pourrais mieux m'abandonner #224; la contemplation de la nature. Mon regard serait capt#233; par ce qui se pr#233;sente #224; lui sans que je d#233;cide de ce que je vois. J'imagine un monde sans volont#233; individu#233;e, un monde dans lequel les intentions pousseraient comme des fleurs, s'#233;panouiraient pour s'#233;teindre en laissant leur place #224; d'autres desseins plus obscurs que nous ne conna#238;trions pas. Je l'ai vue mille fois, cette route qui entre dans la for#234;t, je peux fermer les yeux et en faire le trac#233; comme si je la voyais encore. Je l'ai vue derri#232;re des volutes de fum#233;e, elle #233;tait devenue plus floue, comme dans un l#233;ger boug#233; au cin#233;ma. Ne plus voir les choses derri#232;re cet #233;cran de fum#233;e. Choisir un regard qui ne serait plus sous l'effet de la nicotine pour laisser le paysage se construire tout seul. Il y a ce leurre : d#233;couvrir une autre jeunesse. Marcher le long de la rivi#232;re au petit matin, aspirer l'air frais, le laisser entrer dans les poumons, gonfler la cage thoracique avant d'expirer. Avoir l'impression de vivre son propre corps comme un objet de la nature, comme un arbre, comme une fleur, ou plut#244;t comme un oiseau. Le bonheur d'#234;tre p#233;n#233;tr#233; par la nature elle-m#234;me. Ainsi devrais-je penser avoir durant toute mon existence pr#233;par#233; la noirceur pr#233;sente de mes organes. Pourquoi faudrait-il que je d#233;teste ce que je suis aujourd'hui pour d#233;couvrir une autre jeunesse ? Il para#238;trait souhaitable de croire que celui qui vient d'arr#234;ter de fumer soit sous le coup d'une r#233;v#233;lation. Il d#233;couvrirait la joie du salut comme un jeune initi#233; qui fait son entr#233;e dans une secte. Tout ce qu'il a v#233;cu auparavant serait comparable #224; une longue p#233;riode d'aveuglement, #224; ce temps durant lequel il n'aurait jamais su qu'il avait en lui la force de vivre De fait, certains philosophes nous ont d#233;j#224; alert#233;s : la J'ose raconter ce qui m'est arriv#233; un jour o#249; le temps #233;tait tr#232;s gris #224; la campagne. La lumi#232;re du soleil ne per#231;ait plus les nuages depuis la semaine pr#233;c#233;dente, il faisait froid, la bruine persistait, j'avais le bourdon, j'#233;tais l#224; enferm#233;, seul, je ne r#233;pondais plus au t#233;l#233;phone, je n'appelais personne, je n'allais plus dans le village, je n'utilisais plus ma voiture, je restais assis dans un fauteuil pr#232;s de la chemin#233;e, je regardais les flammes, j'imaginais d#233;j#224; qu'il n'y aurait plus d'apr#232;s. Je ne fumais pas, je n'en avais plus envie, je ne r#233;ussissais m#234;me pas #224; penser, les souvenirs m'avaient quitt#233;, j'avais la t#234;te vide. J'avais l'impression de suivre un destin qui m'#233;tait trac#233; comme une voie qui se termine au milieu d'une ville en impasse ou comme un chemin qui dispara#238;t #224; tout jamais dans les champs. Je ne parvenais m#234;me plus #224; tenir un livre dans mes mains pour continuer au moins #224; lire. Il fallait, je ne sais pour quelle raison, que je ne sois pas distrait, que toute mon attention soit capt#233;e par ce vide qui m'envahissait au point de me rendre p#233;nible le moindre geste. L'id#233;e d'en finir #233;tait bien l#224;, si puissante qu'elle suspendait toute autre id#233;e qui aurait pu la menacer. L'id#233;e d'en finir avait p#233;n#233;tr#233; tout mon corps jusqu'aux extr#233;mit#233;s, mes doigts et mes orteils ne bougeaient plus, je les sentais immobiles comme s'ils #233;taient travers#233;s par une substance qui p#233;trifie. Je savais cependant qu'au dernier moment, je devrais quitter mon fauteuil pour rejoindre la grange plong#233;e dans l'obscurit#233;. C'#233;tait l#224; que la sc#232;ne aurait lieu, devant un tas de bois. Je me suis lev#233;, j'ai march#233; lentement dans le couloir, j'ai pris au passage le bandeau noir que j'avais pos#233; sur le buffet, je suis arriv#233; dans la grange, je me suis approch#233; du tas de bois, j'ai attrap#233; le paquet de cigarettes que j'avais plac#233; la veille sur une b#251;che, j'ai allum#233; une cigarette avec une allumette, j'ai regard#233; la flamme s'#233;teindre, j'ai tir#233; trois bouff#233;es, et je me suis mis le bandeau noir sur les yeux en laissant ma bouche bien d#233;gag#233;e. Je les devinais align#233;s en face de moi, v#234;tus d'un uniforme. Sur leur tee-shirt #233;tait marqu#233; en grosses lettres : |
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