"Том 3. Публицистические произведения" - читать интересную книгу автора (Тютчев Федор Иванович)

3аписка*

En allant au fond de cette malveillance qui se manifeste contre nous en Europe et si l’on met de c#244;t#233; les d#233;clamations, les lieux communs de la pol#233;mique quotidienne, on y trouve cette id#233;e:

«La Russie tient une place #233;norme dans le monde et cependant elle ne repr#233;sente que la force mat#233;rielle, rien que cela».

Voil#224; le v#233;ritable grief, tous les autres sont accessoires ou imaginaires.

Comment est n#233;e cette id#233;e et quelle en est la valeur?

Elle est le produit d’une double ignorance: de celle de l’Europe et de la notre propre. L’une est la cons#233;quence de l’autre. Dans l’ordre moral, une soci#233;t#233;, une civilisation qui a son principe en elle-m#234;me, ne saurait #234;tre comprise des autres qu’autant qu’elle se comprend elle-m#234;me: la Russie est un monde qui commence #224; peine #224; avoir la conscience de son principe. Or, c’est la conscience de son principe qui constitue pour un pays sa l#233;gitimit#233; historique. Le jour o#249; la Russie aura pleinement reconnu le sien, elle l’aura de fait impos#233; au monde. En effet de quoi s’agit-il entre l’Occident et nous? Est-ce de bonne foi que l’Occident a l’air de se m#233;prendre sur ce que nous sommes? Est-ce s#233;rieusement qu’il pr#233;tend ignorer nos titres historiques? —

Avant que l’Europe occidentale ne se f#251;t constitu#233;e, nous existions d#233;j#224; et certes nous existions glorieusement. Toute la diff#233;rence c’est qu’alors on nous appelait l’Empire d’Orient, l’Eglise d’Orient; ce que nous #233;tions alors, nous le sommes encore.

Qu’est-ce que l’Empire d’Orient? C’est la transmission l#233;gitime et directe du pouvoir supr#234;me du pouvoir des C#233;sars. C’est la souverainet#233; pleine et enti#232;re, ne relevant pas, n’#233;manant pas, comme les pouvoirs de l’Occident, d’une autorit#233; ext#233;rieure quelle qu’elle puisse #234;tre, portant son principe d’autorit#233; en elle-m#234;me, mais r#233;gl#233;e, contenue et sanctifi#233;e par le Christianisme.

Qu’est-ce que l’Eglise d’Orient? C’est l’Eglise universelle.

Voil#224; les deux seules questions sur lesquelles doit rouler toute pol#233;mique s#233;rieuse entre l’Occident et nous. Tout le reste n’est que du verbiage. Plus nous nous serons p#233;n#233;tr#233;s de ces deux questions et plus nous serons forts vis-#224;-vis de notre adversaire. Plus nous serons nous-m#234;mes. A bien consid#233;rer les choses, la lutte entre l’Occident et nous n’a jamais cess#233;. Il n’y a pas m#234;me eu de tr#234;ve, il n’y a eu que des intermittences de combat. Maintenant, #224; quoi bon se le dissimuler? Cette lutte est sur le point de se rallumer plus ardente que jamais et cette fois encore comme autrefois, comme toujours, c’est l’Eglise de Rome, l’Eglise latine qui est #224; l’avant-garde de l’ennemi.

Eh bien, acceptons le combat, franchement, r#233;solument. Qu’en face de Rome l’Eglise d’Orient n’oublie pas un seul instant qu’elle est l’h#233;riti#232;re l#233;gitime de l’Eglise universelle.

A toutes les attaques de Rome, #224; toutes ses hostilit#233;s, nous n’avons qu’une arme #224; opposer, mais elle est terrible: c’est son histoire, c’est l’histoire de son pass#233;. Qu’a fait Rome? Comment a-t-elle acquis le pouvoir qu’elle s’est arrog#233;? Par une usurpation flagrante des droits, des attributions de l’Eglise universelle.

Comment a-t-elle cherch#233; #224; justifier cette usurpation? Par la n#233;cessit#233; de maintenir l’unit#233; de la foi. Et pour arriver #224; ce r#233;sultat, elle ne s’est refus#233; aucun moyen, ni la violence, ni la ruse, ni les b#251;chers, ni les J#233;suites. Pour maintenir l’unit#233; de la foi elle n’a pas craint de d#233;naturer le Christianisme. Eh bien, o#249; en est depuis trois si#232;cles l’unit#233; de la foi dans l’Eglise occidentale? Rome il y a trois si#232;cles a livr#233; la moiti#233; de l’Europe #224; l’h#233;r#233;sie et l’h#233;r#233;sie l’a livr#233;e #224; l’incr#233;dulit#233;. Tel est le fruit que le monde chr#233;tien a recueilli de cette dictature de plusieurs si#232;cles que le si#232;ge de Rome s’est arrog#233;e sur l’Eglise au m#233;pris des conciles. Il n’a pas craint de se mettre en r#233;bellion contre l’Eglise universelle; d’autres n’ont pas h#233;sit#233; #224; se r#233;volter contre lui. Ceci n’est que de la justice Providentielle qui est au fond de toutes les choses du monde.

Voil#224; pour la question purement religieuse dans ces diff#233;rends avec Rome. Maintenant si on en venait #224; appr#233;cier l’action politique que Rome a exerc#233;e sur les diff#233;rents #233;tats de l’Europe

Occidentale, bien qu’elle nous touch#226;t de moins pr#232;s, quelle terrible accusation n’aurait-on pas #224; faire peser sur elle! —

N’est-ce pas Rome, n’est-ce pas la politique ultramontaine qui a d#233;sorganis#233;, d#233;chir#233; l’Allemagne, qui a tu#233; l’Italie? L’Allemagne, elle l’a d#233;sorganis#233;e en y minant le pouvoir imp#233;rial; elle l’a d#233;chir#233;e en y provoquant la r#233;formation. Quant #224; l’Italie, la politique de Rome l’a tu#233;e en emp#234;chant par tous les moyens et #224; toutes les #233;poques l’#233;tablissement dans ce pays d’une autorit#233; souveraine, l#233;gitime et nationale. Ce fait a d#233;j#224; #233;t#233; signal#233; il y a plus de trois si#232;cles par le plus grand des historiens de l’Italie moderne.

Et en France, pour ne parler que des temps les plus rapproch#233;s de nous, n’est-ce pas l’influence ultramontaine qui a #233;cras#233;, qui a #233;teint ce qu’il y avait de plus pur, de plus vraiment chr#233;tien dans l’Eglise gallicane? N’est-ce pas Rome qui a d#233;truit le Port-Royal et qui apr#232;s avoir d#233;sarm#233; le Christianisme de ses plus nobles d#233;fenseurs, l’a pour ainsi dire livr#233; par les mains des J#233;suites aux attaques de la Philosophie du dix-huiti#232;me si#232;cle? Tout ceci, h#233;las, c’est de l’Histoire, et de l’Histoire contemporaine.

Maintenant pour ce qui nous concerne personnellement, lors m#234;me que nous passerions sous silence nos propres injures, l’histoire de nos malheurs au dix-septi#232;me si#232;cle, comment pouvons-nous taire ce que la politique de cette cour a #233;t#233;, pour ces peuples qu’une fraternit#233; de race et de langue rattache #224; la Russie et que la fatalit#233; en a s#233;par#233;s. On peut dire avec toute justice que si l’Eglise latine par ses abus et ses exc#232;s a #233;t#233; funeste #224; d’autres pays, elle a #233;t#233; par principe l’ennemie personnelle de la race Slave. La conqu#234;te allemande elle-m#234;me n’a #233;t#233; qu’une arme, qu’un glaive docile entre ses mains. C’est Rome qui en a dirig#233; et assur#233; les coups. Partout o#249; Rome a mis le pied parmi les peuples slaves, elle a engag#233; une guerre #224; mort contre leur nationalit#233;. Elle l’a an#233;antie ou elle l’a d#233;natur#233;e. Elle a d#233;nationalis#233; la Boh#234;me et d#233;moralis#233; la Pologne; elle en aurait fait autant de toute la race si elle n’avait pas rencontr#233; la Russie sur son chemin. De l#224; la haine implacable qu’elle nous a vou#233;e. Rome comprend que dans tout pays slave o#249; la nationalit#233; de la race n’est pas encore tout #224; fait morte, la Russie par sa seule pr#233;sence, par le seul fait de son existence politique l’emp#234;chera de mourir et que partout o#249; cette nationalit#233; tendrait #224; rena#238;tre, elle ferait courir de terribles chances #224; l’#233;tablissement Romain. Voil#224; o#249; nous en sommes vis-#224;-vis de la cour de Rome. Voil#224; le bilan exact de notre situation respective. Eh bien, est-ce avec de pareils ant#233;c#233;dents historiques que nous craindrions d’accepter le d#233;fi qu’elle pourrait nous jeter? Comme Eglise nous avons #224; lui demander compte au nom de l’Eglise universelle de ce d#233;p#244;t de la foi, dont elle a cherch#233; #224; s’attribuer la possession exclusive m#234;me au prix d’un schisme. Comme puissance politique, nous avons pour alli#233;e contre elle l’histoire de son pass#233;, les rancunes de la moiti#233; de l’Europe et les trop justes griefs de notre propre race.

Quelques-uns s’imaginent que la r#233;action religieuse dont l’Europe est en ce moment travaill#233;e pouvait tourner au profit exclusif de l’Eglise latine; c’est selon moi une grande illusion. Il y aura, je le sais bien, dans l’Eglise Protestante beaucoup de conversions partielles, jamais une conversion g#233;n#233;rale. Ce qui a surv#233;cu du principe catholique dans l’Eglise latine, attirera toujours tous ceux parmi les protestants qui, fatigu#233;s des fluctuations de la r#233;forme, aspirent #224; rentrer au port, #224; se replacer sous la loi de l’autorit#233; catholique, mais les souvenirs de la cour de la Rome, mais l’ultramontanisme enfin, les repoussent #233;ternellement.

Le mot historiquement si vrai sur l’Eglise latine est aussi le mot de la situation actuelle.

Le catholicisme a de tout temps fait toute la force du Papisme, comme le Papisme fait toute la faiblesse du catholicisme.

La force sans faiblesse n’est que dans l’Eglise universelle. Qu’elle se montre, qu’elle intervienne dans le d#233;bat et l’on verra de nos jours ce qu’on a d#233;j#224; vu dans les tous premiers jours de la r#233;formation, alors que les chefs de ce mouvement religieux qui avaient d#233;j#224; rompu avec le si#232;ge de Rome, mais qui h#233;sitaient encore #224; rompre avec les traditions de l’Eglise Catholique, en appelaient unanimement #224; l’Eglise d’Orient. Maintenant comme alors la r#233;conciliation religieuse ne peut venir que d’elle; elle porte dans son sein l’avenir chr#233;tien.

Telle est la premi#232;re, la plus haute question que nous ayons #224; d#233;battre avec l’Europe Occidentale, c’est la question vitale par excellence.

Il y en a une autre bien grave aussi; c’est celle que l’on appelle commun#233;ment la question d’Orient; c’est la question de l’Empire.

Ici, il ne s’agit pas de diplomatie; on sait trop bien que tant que durera le Statu quo, la Russie plus qu’aucune autre puissance respectera les trait#233;s. Mais les trait#233;s, mais la diplomatie ne r#232;glent apr#232;s tout que les choses du jour. Les int#233;r#234;ts permanents, les rapports #233;ternels c’est l’histoire seule qui en conna#238;t. Or que nous dit l’histoire?

Elle nous dit que l’Orient orthodoxe, tout ce monde immense qui rel#232;ve de la croix grecque, est un dans son principe, #233;troitement solidaire dans toutes ses parties, vivant de sa vie propre, originale, indestructible. Il peut #234;tre mat#233;riellement fractionn#233;, moralement il sera toujours un et indivisible. Il a subi momentan#233;ment la domination latine, il a subi pendant des si#232;cles l’invasion des races asiatiques, il n’a jamais accept#233; ni l’une ni l’autre.

Il y a parmi les Chr#233;tiens de l’Orient un dicton populaire qui exprime na#239;vement ce fait; ils ont l’habitude de dire, que tout dans la cr#233;ation de Dieu est bien fait, bien ordonn#233;, deux choses except#233;es, et ces deux choses sont: le Pape et le Turc.

— Mais Dieu, — ont-ils soin d’ajouter, — a voulu dans sa sagesse infinie rectifier ces deux erreurs et c’est pour cela qu’il cr#233;e le Czar moscovite.

Nul trait#233;, nulle combinaison politique ne pr#233;vaudra jamais contre ce simple dicton populaire. C’est le r#233;sum#233; de tout le pass#233; et la r#233;v#233;lation de tout un avenir.

— En effet, quoiqu’on fasse ou qu’on s’imagine, pourvu que la Russie reste ce qu’elle est, l’empereur de Russie sera n#233;cessairement, irr#233;sistiblement le seul souverain l#233;gitime de l’Orient orthodoxe, sous quelque forme d’ailleurs qu’il juge convenable d’exercer cette souverainet#233;. Faites ce que vous voudrez, mais encore une fois, #224; moins que vous n’ayez d#233;truit la Russie, vous n’emp#234;cherez jamais ce fait de se produire.

Qui ne voit que l’Occident avec toute sa philantropie, avec son pr#233;tendu respect pour le droit des nationalit#233;s et tout en se d#233;cha#238;nant contre l’ambition insatiable de la Russie, ne voit dans

les populations qui habitent la Turquie qu’une seule chose: une proie #224; d#233;pecer.

Il voudrait tout bonnement recommencer au dix-neuvi#232;me si#232;cle ce qu’ il avait essay#233; de faire au treizi#232;me et ce qui d#233;j#224; alors lui avait si mal r#233;ussi. C’est la m#234;me tentative sous d’autres noms et au moyen de proc#233;d#233;s un peu diff#233;rents. C’est toujours cette ancienne, cette incurable pr#233;tention de fonder dans l’Orient orthodoxe un Empire latin, de faire de ces pays une annexe, une d#233;pendance de l’Europe occidentale.

Il est vrai que pour arriver #224; ce r#233;sultat, il faudrait commencer par #233;teindre dans ces populations tout ce qui jusqu’#224; pr#233;sent a constitu#233; leur vie morale, par d#233;truire en elles ce que les Turcs eux-m#234;mes ont #233;pargn#233;. Mais ce n’est pas l#224; une consid#233;ration qui pouvait arr#234;ter un seul instant le pros#233;litisme occidental, persuad#233; qu’il est que toute soci#233;t#233; qui n’est pas exactement faite #224; l’image de celle de l’Occident n’est pas digne de vivre, et fort de cette conviction il se mettrait bravement #224; l’#339;uvre pour d#233;livrer ces populations de leur nationalit#233; comme d’un reste de barbarie.

Mais cette Providence historique qui est au fond des choses humaines y a heureusement pourvu. D#233;j#224; au treizi#232;me si#232;cle l’Empire d’Orient, tout mutil#233;, tout #233;nerv#233; qu’il #233;tait, a trouv#233; en lui-m#234;me assez de vie pour rejeter de son sein la domination latine apr#232;s soixante et quelques ann#233;es d’une existence contest#233;e; et certes il faut convenir que depuis lors le v#233;ritable Empire d’Orient, l’Empire orthodoxe, s’est grandement relev#233; de sa d#233;ch#233;ance.

C’est ici une question sur laquelle la science occidentale malgr#233; ses pr#233;tentions #224; l’infaillibilit#233; a toujours #233;t#233; en d#233;faut. L’Empire d’Orient est constamment rest#233; une #233;nigme pour elle; elle a bien pu le calomnier, elle ne l’a jamais compris. Elle a trait#233; l’Empire d’Orient comme Monsieur de Custine vient de traiter la Russie, apr#232;s l’avoir #233;tudi#233; #224; travers sa haine doubl#233;e de son ignorance. On n’a su jusqu’#224; pr#233;sent se rendre un compte vrai ni du principe de vie qui a assur#233; #224; l’Empire d’Orient ses mille ans d’existence, ni de la circonstance fatale qui a fait que cette vie si tenace a toujours #233;t#233; contest#233;e et #224; quelques #233;gards si d#233;bile.

Ici, pour rendre ma pens#233;e avec une pr#233;cision suffisante, je devrais entrer dans des d#233;veloppements historiques que ne comportent point les bornes de cette notice. Mais telle est l’analogie r#233;elle, telle est l’affinit#233; intime et profonde qui rattache la Russie #224; ce glorieux ant#233;c#233;dent de l’Empire d’Orient, qu’#224; d#233;faut d’#233;tudes historiques assez approfondies il suffit #224; chacun de nous de consulter ses impressions les plus habituelles et pour ainsi dire les plus #233;l#233;mentaires, pour comprendre d’instinct ce que c’#233;tait que ce principe de vie, cette #226;me puissante qui pendant mille ans a fait vivre et durer ce corps si fr#234;le de l’Empire d’Orient. Cette #226;me, ce principe, c’#233;tait le Christianisme, c’#233;tait l’#233;l#233;ment Chr#233;tien tel que l’avait formul#233; l’Eglise d’Orient, combin#233; ou pour mieux dire identifi#233; non seulement avec l’#233;l#233;ment national de l’#233;tat, mais encore avec la vie intime de la soci#233;t#233;. Des combinaisons analogues ont #233;t#233; tent#233;es, ont #233;t#233; accomplies ailleurs, mais elles n’ont eu nulle part ce caract#232;re profond et original. Ici, ce n’#233;tait pas simplement une Eglise se faisant nationale dans l’acception ordinaire du mot comme cela s’est vu ailleurs, c’#233;tait l’Eglise se faisant la forme essentielle, l’expression supr#234;me d’une nationalit#233; d#233;termin#233;e, de la nationalit#233; de toute une race, de tout un monde. Voil#224; aussi, soit dit en passant, comment il a pu se faire que plus tard cette m#234;me Eglise d’Orient est devenue comme le synonyme de la Russie, l’autre nom, le nom sacr#233; de l’Empire, triomphante partout o#249; elle r#232;gne, militante partout o#249; la Russie n’a pas encore fait pleinement reconna#238;tre sa domination. En un mot si intimement associ#233;e #224; ses destin#233;es qu’il est vrai de dire qu’#224; des degr#233;s divers il y a de la Russie partout o#249; se rencontre l’Eglise orthodoxe.

Quant #224; l’ancien, #224; ce premier Empire d’Orient, la circonstance fatale qui a pes#233; sur ses destin#233;es, c’est qu’il n’a jamais pu mettre en #339;uvre qu’une portion minime de la race sur laquelle il aurait d#251; principalement s’appuyer. Il n’a occup#233; que la lisi#232;re du monde que la Providence tenait en r#233;serve pour lui; c’est le corps cette fois qui a manqu#233; #224; l’#226;me. Voil#224; pourquoi cet Empire, malgr#233; la grandeur de son principe, est constamment rest#233; #224; l’#233;tat de l’#233;bauche, pourquoi il n’a pu opposer #224; la longue une r#233;sistance efficace aux ennemis qui l’enveloppaient de toutes parts. Son assiette territoriale a toujours manqu#233; de base et de profondeur, c’#233;tait, pour tout dire, une t#234;te s#233;par#233;e de son tronc. Aussi, par une de ces combinaisons Providentielles qui sont en m#234;me temps profond#233;ment naturelles et historiques, c’est le lendemain du jour o#249; l’Empire d’Orient a paru d#233;finitivement succomber sous les coups de la destin#233;e qu’il a en r#233;alit#233; pris possession de son existence d#233;finitive. Constantinople tombait aux mains des Turcs en 1453 et neuf ans apr#232;s, en 1462, le grand Ivan III arrivait au tr#244;ne de Moscou.

Qu’on ne s’#233;ffarouche pas de gr#226;ce de toutes ces g#233;n#233;ralit#233;s historiques quelqu’hasard#233;es qu’elles puissent para#238;tre #224; la premi#232;re vue. Qu’on se dise bien que ces pr#233;tendues abstractions, c’est nous-m#234;me, c’est notre pass#233;, notre pr#233;sent, notre avenir. Nos ennemis le savent bien, t#226;chons de le savoir comme eux. C’est parce qu’ils le savent, c’est parce qu’ils ont compris que tous ces pays, toutes ces populations qu’ils voudraient conqu#233;rir au syst#232;me occidental, tiennent #224; la Russie historiquement parlant comme des membres vivants tiennent au corps dont ils font partie, qu’ils travaillent #224; rel#226;cher, #224; rompre s’il est possible, le lien organique qui les rattache #224; nous.

Ils ont compris que tant que ce lien subsiste, tous leurs efforts pour #233;teindre dans ces populations la vie qui leur est propre resteraient #233;ternellement st#233;riles. Encore une fois le b#251;t qu’on se propose est le m#234;me qu’au treizi#232;me si#232;cle, mais les moyens diff#233;rents. A cette #233;poque l’Eglise latine voulait brutalement se substituer dans tout l’Orient Chr#233;tien #224; l’Eglise orthodoxe; maintenant on cherchera #224; ruiner les fondements de cette Eglise par la pr#233;dication philosophique.

Au treizi#232;me si#232;cle la domination de l’Occident pr#233;tendait s’approprier ces pays directement et les gouverner en son propre nom; maintenant faute de mieux on cherchera #224; y provoquer, #224; y favoriser l’#233;tablissement de petites nationalit#233;s b#226;tardes, de petites existences politiques, soi-disant ind#233;pendantes, vains simulacres bien mensongers, bien hypocrites, bons, tout au plus, #224; masquer la r#233;alit#233;, et cette r#233;alit#233; ce serait maintenant comme alors: la domination de l’Occident.

Ce qui vient d’#234;tre tent#233; en Gr#232;ce est une grande r#233;v#233;lation et devrait servir d’enseignement #224; tout le monde. Il est vrai que jusqu’#224; pr#233;sent la tentative ne para#238;t gu#232;re avoir profit#233; #224; ceux qui en ont #233;t#233; les instigateurs. L’arme a r#233;percut#233; contre la main qui s’en est servie. Et cette r#233;volution qui apr#232;s avoir annul#233; un pouvoir d’origine #233;trang#232;re para#238;t avoir restitu#233; l’initiative #224; des influences plus nationales, pourrait fort bien en d#233;finitive aboutir #224; resserrer le lien qui rattache ce petit pays au grand tout, dont il n’est qu’une fraction.

Il faut se dire d’ailleurs que tout ce qui se passe ou se passerait en Gr#232;ce ne sera jamais qu’un #233;pisode, un d#233;tail de la grande lutte entre l’Occident et nous. Ce n’est pas l#224;-bas, aux extr#233;mit#233;s que l’immense question sera d#233;cid#233;e. C’est ici, parmi nous, au centre, au c#339;ur m#234;me de ce monde de l’Orient Chr#233;tien, de l’Orient Europ#233;en que nous repr#233;sentons, de ce monde qui est nous-m#234;me. Ses destin#233;es d#233;finitives qui sont aussi les n#244;tres, ne d#233;pendent que de nous; elles d#233;pendent avant tout du sentiment plus ou moins #233;nergique qui nous lie, qui nous identifie l’un #224; l’autre.

R#233;p#233;tons-le donc et ne nous lassons pas de le redire: l’Eglise d’Orient est l’Empire orthodoxe, l’Eglise d’Orient h#233;riti#232;re l#233;gitime de l’Eglise universelle, l’Empire orthodoxe identique dans son principe, #233;troitement solidaire dans toutes ses parties. Est-ce l#224; ce que nous sommes? ce que nous voulons #234;tre? Est-ce l#224; ce que l’on pr#233;tend nous contester?

Voil#224;, pour qui sait voir, toute la question entre nous et la propagande occidentale; c’est le fond m#234;me du d#233;bat. Tout ce qui n’est pas cela, tout ce qui dans la pol#233;mique de la presse #233;trang#232;re ne se rattache pas #224; cette grande question plus ou moins directement comme une cons#233;quence #224; son principe, ne m#233;rite pas un instant d’occuper notre attention. C’est de la d#233;clamation pure.

Pour nous, nous ne saurions nous p#233;n#233;trer assez intimement de ce double principe historique de notre existence nationale. C’est le seul moyen de tenir t#234;te #224; l’esprit de l’Occident, de mettre un frein #224; ses pr#233;tentions comme #224; ses hostilit#233;s.

Jusqu’#224; pr#233;sent, avouons-le, dans les rares occasions o#249; nous avons pris la parole pour nous d#233;fendre contre ses attaques, nous l’avons fait, #224; une ou deux exceptions pr#232;s, d’une mani#232;re trop peu digne de nous. Nous avions trop l’air d’#233;coliers cherchant par de gauches apologies #224; d#233;sarmer la mauvaise humeur de leur ma#238;tre.

Quand nous saurons mieux qui nous sommes, nous ne nous aviserons plus de faire amende honorable #224; qui que ce soit d’#234;tre ce que nous sommes.

Et que l’on ne s’imagine pas qu’en proclamant hautement nos titres nous ajouterions #224; l’hostilit#233; de l’opinion #233;trang#232;re #224; notre #233;gard. Ce serait bien peu conna#238;tre l’#233;tat actuel des esprits en Europe.

Encore une fois ce qui fait le fond de cette hostilit#233;, ce qui vient en aide #224; la malveillance qu’ils exploitent contre nous, c’est cette opinion absurde et pourtant si g#233;n#233;rale que tout en reconnaissant, en s’exag#233;rant peut-#234;tre nos forces mat#233;rielles, on en est encore #224; se demander si toute cette puissance est anim#233;e d’une vie morale, d’une vie historique qui soit propre. Or, l’homme est ainsi fait, surtout l’homme de notre #233;poque, qu’il ne se r#233;signe #224; la puissance physique qu’en raison de la grandeur morale qu’il y voit attach#233;.

Chose bizarre en effet, et qui dans quelques ann#233;es para#238;tra inexplicable. Voil#224; un Empire qui par une rencontre sans exemple peut-#234;tre dans l’histoire du monde, se trouve #224; lui seul repr#233;senter deux choses immenses: les destin#233;es d’une race toute enti#232;re et la meilleure, la plus saine moiti#233; de l’Eglise Chr#233;tienne.

Et il y a encore des gens qui se demandent s#233;rieusement quels sont les titres de cet Empire, quelle est sa place l#233;gitime dans le monde!.. Serait-ce que la g#233;n#233;ration contemporaine est encore tellement perdue dans l’ombre de la montagne qu’elle a de la peine #224; en apercevoir le sommet?..

Il ne faut pas l’oublier d’ailleurs: pendant des si#232;cles l’Occident Europ#233;en a #233;t#233; en droit de croire que moralement parlant il #233;tait seul au monde, qu’#224; lui seul il #233;lait l’Europe toute enti#232;re. Il a grandi, il a v#233;cu, il a vieilli dans cette id#233;e, et voil#224; qu’il s’aper#231;oit maintenant qu’il s’#233;tait tromp#233;, qu’il y avait #224; c#244;t#233; de lui une autre Europe, sa s#339;ur cadette peut-#234;tre, mais en tout cas sa s#339;ur bien l#233;gitime, qu’en un mot il n’#233;tait lui que la moiti#233; du grand tout. Une pareille d#233;couverte est une r#233;volution tout enti#232;re entra#238;nant apr#232;s elle le plus grand d#233;placement d’id#233;es qui se soit jamais accompli dans le monde des intelligences.

Est-il #233;tonnant que de vieilles convictions luttent de tout leur pouvoir contre une #233;vidence qui les #233;branle, qui les supprime? et ne serait-ce pas #224; nous de venir en aide #224; cette #233;vidence, #224; la rendre invincible, in#233;vitable? Que faudrait-il faire pour cela?

Ici je touche #224; l’objet m#234;me de cette courte notice. Je con#231;ois que le gouvernement Imp#233;rial ait de tr#232;s bonnes raisons pour ne pas d#233;sirer qu’#224; l’int#233;rieur, dans la presse indig#232;ne, l’opinion s’anime trop sur des questions bien graves, bien d#233;licates en effet, sur des questions qui touchent aux racines m#234;mes de l’existence nationale; mais au dehors, mais dans la presse #233;trang#232;re, quelles raisons aurions-nous pour nous imposer la m#234;me r#233;serve? Quels m#233;nagements avons-nous encore #224; garder vis-#224;-vis d’une opinion ennemie qui, se pr#233;valant de notre silence, s’empare tout #224; son aise de ces questions et les r#233;sout l’une apr#232;s l’autre, sans contr#244;le, sans appel, et toujours dans le sens le plus hostile, le plus contraire #224; nos int#233;r#234;ts. Ne nous devons-nous pas #224; nous-m#234;me de faire cesser un pareil #233;tat de choses? Pouvons-nous encore nous en dissimuler les grands inconv#233;nients? et qu’est-il n#233;cessaire de rappeler le d#233;plorable scandale d’apostasie r#233;cente tant politique que religieuse… et ces apostasies auraient-elles #233;t#233; possibles si nous n’avions pas b#233;n#233;volement, gratuitement livr#233; #224; l’opinion ennemie le monopole de la discussion?

Je pr#233;vois l’objection que l’on va me faire. On est, je le sais, trop dispos#233; chez nous #224; s’exag#233;rer l’insuffisance de nos moyens, #224; se persuader que nous ne sommes pas de force #224; engager avec succ#232;s la lutte sur un pareil terrain. Je crois que l’on se trompe; je suis persuad#233; que nos ressources sont plus grandes qu’on ne se l’imagine; mais m#234;me en laissant de c#244;t#233; nos ressources indig#232;nes, ce qui est certain, c’est que l’on ne conna#238;t pas assez chez nous les forces auxiliaires que nous pourrions trouver au dehors. En effet, quelque soit la malveillance apparente et souvent trop r#233;elle de l’opinion #233;trang#232;re #224; notre #233;gard, nous n’appr#233;cions pas assez ce que dans l’#233;tat de fractionnement o#249; sont tomb#233;s en Europe les opinions aussi bien que les int#233;r#234;ts, une grande, une importante unit#233; comme l’est la n#244;tre, peut exercer d’ascendant et de prestige sur des esprits que ce fractionnement pouss#233; #224; l’extr#234;me a r#233;duit au dernier degr#233; de lassitude.

Nous ne savons pas assez combien on y est avide de tout ce qui offre des garanties de dur#233;e et des promesses d’avenir… comme on y #233;prouve le besoin de se rallier ou m#234;me de se convertir #224; ce qui est grand et fort. Dans l’#233;tat actuel des esprits en Europe, l’opinion publique, toute indisciplin#233;e, toute ind#233;pendante qu’elle paraisse, ne demande pas mieux au fond que d’#234;tre violent#233;e avec grandeur. Je le dis avec une conviction profonde: l’essentiel, le plus difficile pour nous, c’est d’avoir foi en nous-m#234;me; d’oser nous avouer #224; nous-m#234;me toute la port#233;e de nos destin#233;es, d’oser l’accepter tout enti#232;re. Ayons cette foi, ce courage. Ayons le courage d’arborer notre v#233;ritable drapeau dans la m#234;l#233;e des opinions qui se disputent l’Europe, et il nous fera trouver des auxiliaires l#224; m#234;me o#249; jusqu’#224; pr#233;sent nous n’avions rencontr#233; que des adversaires. Et nous verrons se r#233;aliser une magnifique parole, dite dans une circonstance m#233;morable. Nous verrons ceux-l#224; m#234;me qui jusqu’#224; pr#233;sent se d#233;cha#238;naient contre la Russie ou cabalaient en secret contre elle, se sentir heureux et fiers de se rallier #224; elle, de lui appartenir.

Ce que je dis l#224; n’est pas une simple supposition. Plus d’une fois des hommes #233;minents par leur talents aussi que par l’autorit#233; que ce talent leur avait acquise sur l’opinion, m’ont donn#233; des t#233;moignages non #233;quivoques de leur bonne volont#233;, de leurs bonnes dispositions #224; notre #233;gard. Leurs offres de service #233;taient telles qu’elles n’avaient rien de compromettant ni pour ceux qui les faisaient, ni pour celui qui les aurait accept#233;es. Ces hommes assur#233;ment n’entendaient pas se vendre #224; nous, mais ils n’auraient pas mieux demand#233; que de nous savoir chacun dans la ligne et dans la mesure de son opinion. L’essentiel e#251;t #233;t#233; de coordonner ces efforts, de les diriger tous vers un but d#233;termin#233;, de faire concourir ces diverses opinions, ces diverses tendances au service des int#233;r#234;ts permanents de la Russie, tout en conservant #224; leur langage cette franchise d’assaut sans laquelle on ne fait pas d’impression sur les esprits.

Il va sans dire qu’il ne saurait #234;tre question d’engager avec la presse #233;trang#232;re une pol#233;mique quotidienne minutieuse portant sur des petits faits, sur des petits d#233;tails; mais ce qui serait vraiment utile, ce serait par exemple de prendre pied dans le journal le plus accr#233;dit#233; de l’Allemagne, d’y avoir des organes graves, s#233;rieux, sachant se faire #233;couter du public — et tendant par des voies diff#233;rentes, mais avec un certain ensemble vers un but d#233;termin#233;.

Mais #224; quelles conditions r#233;ussirait-on #224; imprimer #224; ce concours de forces individuelles et jusqu’#224; un certain point ind#233;pendantes une direction commune et salutaire? A la condition d’avoir sur les lieux un homme intelligent, dou#233; d’#233;nergiques sentiments de nationalit#233;, profond#233;ment d#233;vou#233; au service de l’Empereur et qui par une longue exp#233;rience de la presse aurait acquis une connaissance suffisante du terrain sur lequel il serait appel#233; #224; agir.

Quant aux d#233;penses que n#233;cessiterait l’#233;tablissement d’une presse russe #224; l’#233;tranger, elles seraient minimes comparativement au r#233;sultat qu’on pourrait en attendre.

Si cette id#233;e #233;tait agr#233;#233;e, je m’estimerais trop heureux de mettre aux pieds de l’Empereur tout ce qu’un homme peut offrir et promettre: la propret#233; de l’intention et le z#232;le du d#233;vouement le plus absolu.