"Le Frère-De-La-Côte" - читать интересную книгу автора (Conrad Joseph)X Ce n’est qu’une fois parvenu au terre-plein qui s’étendait devant la maison que Peyrol prit le temps de s’arrêter et de reprendre contact avec le monde extérieur. Pendant qu’il était resté enfermé avec son prisonnier, le ciel s’était couvert d’une légère couche de nuages, par un de ces brusques changements du temps qui ne sont pas rares en Méditerranée. Cette vapeur grise, en mouvement très haut, tout contre le disque du soleil, semblait élargir l’espace derrière son voile et ajouter à l’étendue d’un monde dépourvu d’ombres, non plus un monde étincelant et dur, mais dont tous les contours de ses masses et la ligne d’horizon s’adoucissaient, comme prêts à se dissoudre dans l’immensité de l’infini. Indifférente et familière aux yeux de Peyrol, palpable et vague tout ensemble, l’étendue de la mer changeante avait pâli sous le pâle soleil par une réaction mystérieuse et émotive. Cette grande pièce d’eau ovale et assombrie vers l’ouest s’enveloppait aussi de mystère: et mystérieuse également semblait cette large allée bleue qui persistait sur l’argent terne de l’eau, en une courbe parabolique magistralement décrite par un doigt invisible, comme symbole d’une errance sans fin. La façade de la maison aurait pu être celle d’une habitation dont les habitants eussent fui soudain. Dans le haut du bâtiment, la fenêtre de la chambre du lieutenant (vitre et volet) était restée ouverte. Près de la porte de la salle, la fourche d’écurie posée contre le mur semblait avoir été oubliée par le sans-culotte. Cet aspect d’abandon frappa Peyrol avec plus de force que d’ordinaire. Il avait tellement pensé à tous ces gens que de n’en trouver là aucun lui parut étrange et même inquiétant. Il avait, au cours de sa vie, vu bien des endroits abandonnés, des huttes d’herbe, des fortins de terre, des palais de rois, des temples d’où avaient fui toutes les âmes en robe blanche. Les temples, il est vrai, ne paraissaient jamais tout à fait déserts. Les dieux se cramponnaient à leur domaine. Les yeux de Peyrol se posèrent sur le banc accoté au mur de la salle. Dans le cours habituel des choses, il aurait dû être occupé par le lieutenant qui s’y asseyait d’ordinaire pendant des heures sans presque remuer, comme une araignée qui épie la venue d’une mouche. Cette comparaison paralysante immobilisa un moment Peyrol, la bouche tordue, les sourcils froncés, devant la vision évoquée, précise et colorée, de Réal, image plus troublante que ne l’avait jamais été la réalité. Il revint à lui brusquement. «Qu’est-ce que c’était que ce genre d’occupation, cré nom de nom?» Regarder ainsi ce bête de banc sans personne dessus? Est-ce qu’il perdait la tête, ou bien vieillissait-il vraiment à ce point-là? Il avait remarqué que des vieillards se laissaient aller comme cela. Mais il avait, lui, quelque chose à faire. Il fallait avant tout aller voir ce que devenait la corvette anglaise dans la Passe. Tandis qu’il se dirigeait vers le poste d’observation sur la hauteur, à l’endroit où le pin se penchait, dépassant du bord de la falaise comme si une curiosité insatiable l’eût maintenu dans cette position précaire, Peyrol eut un nouvel aperçu en contrebas de la cour et des bâtiments de la ferme et fut de nouveau très frappé de leur aspect d’abandon. Il semblait n’y être resté ni une âme, ni même un animal; seuls, sur les toits, les pigeons se dandinaient avec une élégance raffinée. Peyrol pressa le pas et bientôt vit le navire anglais qui s’était carrément éloigné, du côté de Porquerolles, vergues brassées [82] et cap au sud. Il y avait un peu de vent dans la Passe et l’argent terne de la haute mer montrait une frange obscurcie d’eau ridée, loin vers l’est; dans les parages où, proche ou lointaine et la plupart du temps visible, l’escadre anglaise exerçait son incessante surveillance. Ni l’ombre d’un espar, ni l’éclat d’une voile à l’horizon ne trahissaient sa présence: mais Peyrol n’aurait pas été surpris de voir tout à coup une foule de navires surgir [83] peupler l’horizon de leur agitation hostile, arriver brusquement et émailler la mer de leurs groupes ordonnés, tout autour du cap Cicié, pour faire parade de leur satanée impudence. Alors en vérité cette corvette, qui avait été le principal élément de la vie quotidienne sur cette côte, deviendrait fort insignifiante; et l’homme qui la commandait, – et qui avait été l’adversaire personnel de Peyrol dans bien des rencontres imaginaires disputées jusqu’au bout là-haut dans sa chambre – alors cet Anglais devrait en vérité prendre garde à lui. On lui donnerait l’ordre d’approcher à portée de voix de l’amiral, on le ferait aller de-ci de-là, on le ferait courir comme un petit chien, avec bien des chances de se voir appeler à bord du bâtiment amiral pour se faire laver la tête sous un prétexte ou un autre. Peyrol pensa un moment que l’impudence de cet Anglais allait s’exprimer en croisant le long de la presqu’île et en pénétrant à l’intérieur de la crique même, car l’avant de la corvette était en train de faire une lente abattée [84]. Peyrol eut le cœur étreint par une crainte soudaine pour sa tartane, jusqu’au moment où il se rappela que l’Anglais en ignorait l’existence. Évidemment. Son gourdin avait su efficacement couper court à cette information. Le seul Anglais qui connût l’existence de la tartane, c’était l’homme au crâne défoncé. Peyrol se mit littéralement à rire de sa frayeur momentanée. De plus, il était évident que l’Anglais n’avait aucune intention de venir parader en vue de la presqu’île. Il n’avait aucune intention d’être impudent. Peyrol vit qu’on brassait les vergues de l’autre bord; la corvette revint dans le vent, mais cette fois gouvernant au nord, retournant vers le point d’où elle venait. Il comprit immédiatement qu’elle avait l’intention de passer au vent du cap Esterel, probablement dans l’intention d’aller s’ancrer pour la nuit au large de la longue grève blanche qui, d’une courbe régulière, ferme de ce côté la rade d’Hyères. Peyrol se la représentait par cette nuit nuageuse mais pas trop sombre, car la pleine lune ne datait que de la veille: il la voyait à l’ancre à portée de voix du rivage bas, les voiles ferlées: elle semblait profondément endormie, mais les hommes de quart veillaient sur le pont, près des pièces. Il grinça des dents. Les choses en étaient venues à ce point que le commandant de l’ Il hocha la tête d’un air de découragement à l’adresse du pin incliné, son unique compagnon. L’âme déshéritée de ce flibustier qui avait tant d’années couru l’Océan, sans loi, avec les rivage de deux continents comme champ de pillage était revenue vers son rocher, tournoyant autour de lui comme un oiseau de mer au crépuscule et souhaitant ardemment une grande victoire navale pour son peuple, pour cette multitude humaine qui vivait à l’intérieur des terres et dont Peyrol ne connaissait que les quelques êtres établis sur cette presqu’île à demi isolée du reste de la terre par l’eau stagnante d’une lagune, et parmi lesquels, seuls, une note de virilité chez un misérable infirme et le charme inexplicable d’une femme à demi folle, avaient trouvé un écho dans son cœur. Ce coup des fausses dépêches n’était qu’un détail dans un plan en vue d’une grande et destructrice victoire. Rien qu’un détail, mais important tout de même. On ne pouvait regarder comme négligeable ce qui visait à abuser un amiral. Pas n’importe quel amiral avec cela. C’était – Peyrol le sentait vaguement – un projet que seul un damné terrien était capable d’inventer. C’était pourtant à des marins de le rendre réalisable. Il fallait le réaliser par le moyen de cette corvette. Et à ce point Peyrol fut arrêté par cette question que sa vie entière n’avait pu résoudre pour lui, et qui était celle de savoir si les Anglais étaient en réalité très stupides ou très subtils. Cette difficulté s’était présentée à lui en toute circonstance. Mais le vieux flibustier avait assez de génie pour être arrivé à cette conclusion d’ensemble qu’en tout cas, si l’on pouvait les tromper, on n’y arriverait guère par des paroles mais plutôt par des actes; non par de simples faux-fuyants, mais par une ruse profonde, cachée sous une sorte d’action directe. Cette conviction toutefois ne l’avançait pas à grand-chose dans un cas comme le sien qui réclamait beaucoup de réflexion. L’ Une fois parvenu à cette conclusion Peyrol se mit méthodiquement à bourrer sa pipe. S’il avait eu l’idée de jeter un regard vers l’intérieur, il aurait aperçu au loin le mouvement d’une jupe noire, l’éclat d’un fichu blanc, Arlette qui descendait rapidement le vague sentier menant d’Escampobar au village blotti dans le creux, ce même sentier que les fidèles indignés avaient obligé le citoyen Scevola à grimper précipitamment lorsqu’il lui avait pris l’étrange fantaisie de vouloir visiter l’église. Mais Peyrol, tout en bourrant et en allumant sa pipe, n’avait cessé de garder les yeux fixés sur le cap Esterel. Puis, entourant d’un bras affectueux le tronc du pin, il s’était installé commodément pour faire le guet. Loin au-dessous, avec le jeu de ses reflets gris et étincelants, la rade avait l’air d’une plaque de nacre dans un cadre de roches jaunes et de ravins vert sombre que faisaient ressortir du côté de la terre les masses de collines exhibant une teinte de pourpre magnifique; tandis qu’au-dessus de sa tête, le soleil, derrière un voile de nuages, était suspendu comme un disque d’argent. Cet après-midi-là, après avoir vainement attendu de voir apparaître le lieutenant Réal devant la maison comme d’habitude, Arlette était entrée à contrecœur dans la cuisine où Catherine était assise toute droite dans un vaste et pesant fauteuil de bois dont le dossier dépassait le haut de son bonnet de mousseline blanche. Même à l’âge avancé qu’elle avait, et même à ses moments de loisir, Catherine conservait ce port très droit, particulier à la famille qui, depuis tant de générations, tenait Escampobar. On aurait aisément cru que, pareille en cela à des personnages fameux dans le monde, Catherine voulait mourir debout, et sans courber les épaules. L’ouïe, qu’elle avait conservée très fine, lui révéla le bruit léger d’un pas dans la salle, bien avant qu’Arlette ne fût entrée dans la cuisine. Cette femme, qui avait affronté, seule et sans autre secours que le silence compréhensif de son frère, la torturante passion d’un amour interdit et connu des terreurs comparables à celle du Jugement dernier, ne tourna vers sa nièce ni son visage paisible mais dénué de sérénité, ni ses yeux intrépides mais dépourvus de flamme. Arlette regarda de tous côtés, même vers les murs, même dans la direction du tas de cendre amoncelée sous le volumineux manteau de la cheminée et qui abritait encore dans ses entrailles une étincelle de feu, avant de s’asseoir et de venir s’accouder à la table. «Tu erres comme une âme en peine», lui dit sa tante, qui au coin du foyer, avait l’air d’une vieille reine sur son trône. «Et toi, tu restes là à te ronger le cœur. – Autrefois, déclara Catherine, les vieilles femmes comme moi savaient toujours réciter leurs prières, mais maintenant… – Je crois que tu n’as pas été à l’église depuis des années. Je me rappelle que Scevola me l’a dit, il y a longtemps. Était-ce parce que tu n’aimais pas les regards des gens. Je me suis parfois figuré que la plupart des gens de ce monde ont dû être massacrés il y a longtemps.» Catherine détourna son visage. Arlette avait appuyé sa tête sur sa main à demi fermée, et son regard, perdant sa fixité, se mit à vaciller parmi des visions cruelles. Tout à coup, elle se leva et caressa du bout de ses doigts la joue maigre et parcheminée qui se détournait à moitié, et d’une voix grave dont la cadence merveilleuse vous serrait le cœur, elle dit, enjôleuse. «C’étaient des rêves, n’est-ce pas?» Immobile, la vieille femme appelait de toute la force de sa volonté la présence de Peyrol. Elle n’avait jamais réussi à se défaire de la crainte superstitieuse inspirée par cette nièce qu’on lui avait rendue au sortir des terreurs d’un Jugement dernier où le monde avait été livré aux démons. Elle craignait toujours que cette enfant, qui errait avec un regard inquiet, un vague sourire sur ses lèvres silencieuses, n’allât tout à coup prononcer des paroles atroces, impossibles à écouter, capables d’attirer sur elle la vengeance du Ciel, à moins que Peyrol ne fût là. Cet étranger venu de par-delà les mers n’avait rien à voir avec tout cela, ne se souciait probablement de personne au monde, mais il avait frappé l’imagination de Catherine par son aspect massif, sa lenteur qui donnait l’impression d’une force puissante, comme l’attitude d’un lion au repos. Arlette cessa de caresser la joue indifférente de sa tante pour s’écrier avec mauvaise humeur: «Je suis éveillée maintenant!» Et elle sortit de la cuisine sans poser à sa tante la question qu’elle avait eu l’intention de lui poser, c’est-à-dire si elle savait ce qu’il était advenu du lieutenant. Le cœur lui avait manqué. Elle se laissa tomber sur le banc devant la porte de la salle. «Qu’ont-ils donc tous? pensa-t-elle. Je ne les comprends pas. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que je n’aie pu dormir?» Même Peyrol, si différent de tous les autres hommes, qui, du premier moment où il s’était immobilisé devant elle, avait eu le pouvoir de calmer son agitation sans but, même Peyrol restait maintenant des heures sur le banc avec le lieutenant, à regarder en l’air et à le retenir avec des conversations sur des choses vides de sens, comme s’il faisait exprès de l’empêcher de penser à elle. Certes, il n’y parviendrait pas. Mais quel énorme changement représentait le fait que chaque jour maintenant avait un lendemain et que tous les gens autour d’elle avaient cessé de n’être que des fantômes sur lesquels glissaient ses regards indifférents; cela lui faisait éprouver le besoin de trouver un appui en quelqu’un, quelque part. Il lui en venait des envies de crier. Elle se leva d’un bond et s’avança tout le long de la façade de la ferme. Arrivée à l’extrémité du mur entourant le verger, elle appela d’une voix sourde mais modulée: «Eugène!» Non pas qu’elle espérât que le lieutenant fût à portée de voix, mais pour le simple plaisir d’entendre le son de ce nom prononcé, pour une fois, autrement que dans un murmure. Elle revint sur ses pas et, une fois qu’elle eut atteint le bout du mur du côté de la cour, elle répéta cet appel, buvant le son qui sortait de ses lèvres: «Eugène, Eugène!» avec une sorte de désespoir mêlé d’exultation. C’était dans de tels moments étourdissants qu’elle éprouvait le besoin d’un appui pour se soutenir. Mais tout était tranquille. Elle n’entendait ni un murmure amical, ni même un soupir. Au-dessus de sa tête, sous le mince ciel gris, pas une des feuilles d’un grand mûrier ne bougeait. Pas à pas, inconsciemment pour ainsi dire, elle se mit à descendre le chemin. Au bout de cinquante mètres, elle découvrit la vue de l’intérieur des terres, les toits du village parmi les masses verdoyantes des platanes qui ombrageaient la fontaine, et juste au-delà la surface plate, gris-bleu, de la lagune, lisse et terne comme une dalle de plomb. Mais ce qui l’attira surtout c’était la tour de l’église, qui montrait sous une arche ronde la tache noire de la cloche qui, après avoir échappé aux réquisitions des guerres républicaines et être restée muette au-dessus de l’église vide et fermée, venait seulement de recouvrer la voix. Elle courut de l’avant, mais une fois assez près pour distinguer des formes qui allaient et venaient près de la fontaine du village, elle s’arrêta, hésita un moment, puis emprunta le sentier qui menait au presbytère. Elle poussa la petite porte dont le loquet était cassé. L’humble construction, faite de pierres brutes entre lesquelles le mortier s’était effrité en maint endroit, semblait s’être enfoncée lentement dans la terre. Les parterres de la pelouse de la maison, étaient étouffés par les mauvaises herbes: l’abbé, visiblement, n’avait aucun goût pour le jardinage. Quand l’héritière d’Escampobar ouvrit la porte, il faisait les cent pas dans la plus grande pièce qui lui servait de chambre à coucher et de salon, et où il prenait également ses repas. C’était un homme décharné, avec une longue figure en quelque sorte convulsée. Jeune, il avait été précepteur dans une grande famille noble, mais il n’avait pas émigré avec son employeur. Il ne s’était pas davantage soumis à la République. Il avait vécu dans son pays natal comme une bête traquée, et l’on contait de lui mainte action, guerrière et autre. Une fois la hiérarchie rétablie, il n’avait pas été bien vu de ses supérieurs. Il était resté beaucoup trop royaliste. Il avait accepté, sans protester, la charge de cette misérable paroisse où il s’était acquis assez rapidement de l’influence. L’esprit sacerdotal était en lui comme une froide passion. Bien qu’il fût assez accessible, on ne le voyait jamais dehors sans son bréviaire, répondant d’un signe de tête sec aux gens qui se découvraient solennellement devant lui. On ne peut pas dire qu’on le craignait, mais se rappelant le précédent titulaire, un vieil homme qui était mort dans son jardin après avoir été jeté hors de son lit par des patriotes qui voulaient le mener à la prison d’Hyères, les plus vieux du village hochaient la tête obliquement et d’un air entendu lorsqu’on parlait de leur curé. Devant cette apparition en bonnet d’Arlésienne, en jupe de soie et fichu blanc, et aussi complètement différente à tous autres égards qu’une princesse eût pu l’être des rustres avec lesquels il était en contact quotidien, son visage exprima la plus totale surprise. Puis – car il n’était pas sans connaître les commérages de sa paroisse – il rapprocha l’un de l’autre ses sourcils épais et droits, en une expression d’hostilité. C’était à n’en pas douter la femme dont il avait entendu ses paroissiens dire en baissant la voix, qu’elle s’était donnée, avec tous ses biens, à un jacobin, un sans-culotte de Toulon qui avait livré ses parents au bourreau s’il ne les avait pas lui-même assassinés pendant les trois premiers jours des massacres. Personne n’était très sûr de ce point-là, mais le reste était bien connu de tous. Bien qu’il fût persuadé qu’aucune turpitude morale n’était impossible dans un pays sans Dieu, l’abbé n’avait pourtant pas pris ce récit pour argent comptant. Indubitablement, ces gens étaient républicains et impies, et ce qui se passait là-haut à la ferme était scandaleux et abominable. Il lutta contre sa répugnance, fit en sorte de montrer un front moins sévère et attendit. Il ne pouvait imaginer ce que cette femme déjà faite, malgré son visage enfantin, pouvait bien venir demander au presbytère. Il pensa tout à coup que peut-être elle voulait le remercier – quoique la chose se fût passée il y avait déjà longtemps – de s’être interposé entre la fureur des villageois et… cet homme. Il ne pouvait l’appeler, même en pensée, le mari: car, sans parler de toutes les autres circonstances, cette relation ne pouvait impliquer aux yeux d’un prêtre une quelconque espèce de mariage, en admettant même que certaines formes légales eussent été respectées. Sa visiteuse fut apparemment déconcertée par l’expression de son visage, l’austérité distante de son attitude, et seul un sourd murmure s’échappa de ses lèvres. Il pencha la tête, sans être très certain de ce qu’il avait entendu. «Vous êtes venue demander mon aide?» dit-il d’un air de doute. Elle fit un léger signe d’assentiment et l’abbé alla jusqu’à la porte qu’elle avait laissée entrouverte et regarda au-dehors. Il n’y avait pas une âme en vue entre le presbytère et le village non plus qu’entre le presbytère et l’église. Il revint se placer en face de la jeune femme et lui dit: «Nous sommes aussi seuls qu’il est possible. Ma vieille servante, dans la cuisine, est sourde comme un pot.» Maintenant qu’il avait regardé Arlette de plus près, l’abbé éprouvait une sorte de frayeur. Le carmin de ces lèvres, la noirceur transparente, sans tache, insondable, de ces yeux, la pâleur de ces joues, tout en elle lui semblait agressivement païen, désagréablement différent de l’aspect habituel des pécheurs de ce monde. Elle s’apprêtait à parler. Il l’arrêta en levant la main. «Attendez, dit-il. C’est la première fois que je vous vois. Je ne sais même pas exactement qui vous êtes. Aucun de vous ne compte parmi mes ouailles, car vous êtes bien d’Escampobar, n’est-ce pas?» Sombres, sous leurs orbites osseuses, les yeux de l’abbé, rivés sur son visage, remarquèrent la délicatesse de ses traits, la naïve opiniâtreté de son regard. Elle lui répondit: «Je suis la fille. – La fille!… Oh! je vois… On dit beaucoup de mal de vous. – Cette racaille?» fit-elle avec un peu d’impatience. Le prêtre en demeura muet un moment. «Que disent ces gens? Du temps de mon père, ils n’auraient rien osé dire. La seule fois que je les ai vus depuis des années et des années, c’est quand ils hurlaient comme des chiens sur les talons de Scevola.» L’absence de tout mépris dans son intonation était absolument désarmante. Des sons gracieux sortaient de ses lèvres et un charme troublant émanait de son étrange équanimité. L’abbé fronça fortement les sourcils: une semblable fascination paraissait avoir quelque chose de diabolique. «Ce sont de pauvres gens qu’on a négligés et qui sont retombés dans les ténèbres. Ce n’est pas leur faute. On avait scandalisé leurs sentiments naturels d’humanité. J’ai arraché cet homme à leur indignation, il y a des choses qui relèvent de la justice divine.» L’inconscience de ce joli visage l’exaspérait. «Cet homme dont vous venez de prononcer le nom et auquel j’ai entendu accoupler l’épithète de «buveur de sang», est considéré comme le patron de la ferme d’Escampobar. Il y habite depuis des années. Comment cela se fait-il? – Oui, il s’est passé beaucoup de temps depuis qu’il m’a ramenée à la maison. Des années! Catherine lui a permis de rester. – Qui est Catherine? demanda l’abbé avec rudesse. – C’est la sœur de mon père qui était restée à attendre chez nous. Elle avait perdu tout espoir de revoir jamais aucun d’entre nous, lorsqu’un matin Scevola est arrivé avec moi à la porte. Alors, elle lui a permis de rester. C’est un pauvre diable. Qu’est-ce que Catherine aurait pu faire d’autre? Et qu’est-ce que cela peut bien nous faire là-haut, ce que les gens du village pensent de lui?» Elle baissa les yeux et sembla s’abîmer dans de profondes réflexions, puis elle ajouta: «C’est beaucoup plus tard que j’ai découvert que c’était un pauvre diable, oui, tout dernièrement. Alors, on l’appelle donc un «buveur de sang»? Et après? Il avait tout le temps peur de son ombre.» Elle se tut, mais ne leva pas les yeux. «Vous n’êtes plus une enfant», commença l’abbé d’une voix sévère en fronçant les sourcils à la vue de ses yeux baissés, et il l’entendit qui murmurait: «Pas depuis bien longtemps.» Il n’y prêta pas attention et poursuivit: «Est-ce tout ce que vous avez à me dire au sujet de cet homme? Je vous le demande. J’espère qu’au moins vous n’êtes pas hypocrite. – Monsieur l’abbé», dit-elle en levant les yeux sans crainte, «que vous dirais-je de plus à son sujet? Je pourrais vous dire des choses à vous faire dresser les cheveux sur la tête, mais ce ne serait pas à son sujet.» Pour toute réponse l’abbé fit un geste de lassitude et se détourna pour arpenter la pièce de long en large. Son visage n’exprimait ni curiosité ni pitié, mais une sorte de répugnance qu’il s’efforça de surmonter. Il se laissa tomber dans un vieux fauteuil profond et délabré, seul objet de luxe de la pièce, et lui désigna une chaise de bois à dossier droit. Arlette s’y assit et se mit à parler: L’abbé l’écoutait, mais en regardant au loin: ses grandes mains osseuses reposaient sur les bras du fauteuil. Dès les premiers mots, il l’interrompit: «C’est votre propre histoire que vous me racontez. – Oui, dit Arlette. – Est-il nécessaire que je sois au courant? – Oui, monsieur l’abbé. – Mais pourquoi?» Il pencha un peu la tête, sans toutefois cesser de regarder au loin. Arlette parlait maintenant à voix très basse. Tout à coup, l’abbé se rejeta en arrière. «Vous voulez me raconter toute votre histoire parce que vous êtes amoureuse d’un homme? – Non, mais parce que cela m’a rendue à moi-même. Rien d’autre n’aurait pu le faire.» Il tourna la tête pour la considérer d’un air sombre, mais il ne dit mot et éloigna de nouveau son regard. Il l’écouta. Au début, il avait marmotté à une ou deux reprises: «Oui! J’ai entendu dire cela», puis il resta silencieux, sans regarder du tout de son côté. Il l’interrompit une seule fois pour lui demander: «Vous aviez été confirmée, avant qu’on ne forçât l’entrée du couvent et qu’on ne dispersât les religieuses? – Oui, répondit-elle, une année avant, au moins. – Et ensuite deux de ces dames vous ont emmenée avec elles à Toulon? – Oui, les parents des autres petites filles habitaient tout près. Elles m’emmenèrent avec elles, pensant pouvoir communiquer avec mes parents, mais c’était difficile. Et puis les Anglais sont arrivés et mes parents se sont embarqués pour essayer, en venant, d’avoir de mes nouvelles. À ce moment-là, mon père ne courait aucun danger à Toulon. Vous pensez peut-être qu’il était traître à son pays?» demanda-t-elle. Elle attendit, les lèvres entrouvertes. Le visage impassible, l’abbé murmura: «C’était un bon royaliste», d’un ton d’amer fatalisme qui semblait absoudre, avec cet homme, tous ceux dont il avait jamais entendu raconter les actions et les erreurs. Pendant longtemps, poursuivit Arlette, son père n’avait pu découvrir la maison où les religieuses avaient trouvé refuge. C’est seulement la veille du jour où les Anglais évacuèrent Toulon qu’il avait pu obtenir des renseignements. Tard ce jour-là, il apparut devant elle et l’emmena. La ville était pleine de troupes étrangères en retraite. Son père l’avait confiée à sa mère et était ressorti afin de tout préparer pour pouvoir s’embarquer dès cette nuit-là et rentrer à Escampobar; mais la tartane n’était plus à l’endroit où il l’avait laissée. Les deux hommes de Madrague qui formaient son équipage avaient disparu aussi. C’est ainsi que la famille avait été prise au piège dans cette ville pleine de tumulte et de confusion. Des navires et des maisons flambaient. D’effroyables explosions de poudre à canon ébranlaient la terre. Elle avait passé cette nuit-là à genoux, la figure cachée dans les jupes de sa mère, tandis que son père faisait le guet, près de la porte barricadée, un pistolet dans chaque main. Au matin, la maison s’était remplie de hurlements sauvages. On entendit des gens monter précipitamment l’escalier. La porte vola en éclats. Ce bruit l’avait fait lever en sursaut et elle était allée se jeter à genoux dans un coin, la face contre le mur. Il y avait eu une clameur meurtrière, elle avait entendu deux coups de feu, et puis quelqu’un l’avait saisie par le bras et l’avait remise sur ses pieds. C’était Scevola. Il l’avait traînée jusqu’à la porte. Les corps de son père et de sa mère gisaient sur le seuil. La pièce était remplie de la fumée des détonations. Elle avait voulu se jeter sur les corps et s’accrocher à eux, mais Scevola l’avait prise sous les bras et lui avait fait franchir les corps. Il lui avait saisi la main et l’avait forcée à fuir avec lui, ou plutôt l’avait traînée en bas de l’escalier. Dehors, sur le trottoir, quelques hommes terribles et de nombreuses femmes farouches armées de couteaux les avaient rejoints. On courait dans les rues en brandissant des piques et des sabres et en poursuivant d’autres groupes de gens sans armes qui fuyaient à tous les coins de rues en poussant des cris perçants. «J’ai couru au milieu d’eux, monsieur l’abbé», poursuivit Arlette dans un murmure haletant. «Partout où je voyais de l’eau, j’aurais voulu m’y précipiter, mais on m’entourait de tous côtés, j’étais pressée de toutes parts, poussée, et la plupart du temps Scevola me tenait la main fortement serrée. Quand on s’arrêta chez un marchand de vin, on voulut m’offrir à boire. J’avais la langue collée au palais et je me suis mise à boire. Le vin, les trottoirs, les armes et les figures, tout était rouge. J’étais toute éclaboussée de taches rouges. Il me fallut courir avec eux toute la journée et il me semblait tout le temps que je tombais, que je tombais. Les maisons se penchaient sur moi. Le soleil par moments s’éteignait. Et tout à coup, je m’entendis hurler exactement comme les autres. Comprenez-vous cela, monsieur l’abbé? Exactement les mêmes mots!» Les yeux du prêtre, du fond de leurs orbites, glissèrent vers elle, puis reprirent leur distante fixité. Pris entre son fatalisme et sa foi, il n’était pas très éloigné de penser que Satan s’était emparé de cette humanité rebelle, pour mettre à nu les cœurs de pierre et les âmes homicides des révolutionnaires. «J’ai un peu entendu parler de cela», murmura-t-il furtivement. Elle affirma avec une tranquille gravité: «Et pourtant, à ce moment-là, je résistais de toutes mes forces.» Cette nuit-là, Scevola l’avait confiée aux soins d’une femme nommée Pérose. Elle était jeune et jolie, et native d’Arles, le pays de la mère d’Arlette. Elle tenait une auberge. Cette femme l’avait enfermée dans sa propre chambre qui était contiguë à la pièce où des patriotes continuèrent à crier, à chanter et à faire des discours très avant dans la nuit. À plusieurs reprises, la femme vint jeter un bref coup d’œil, lever les bras en l’air d’un geste désespéré, avant de disparaître. Plus tard, pendant bien des nuits, tandis que toute la bande dormait sur des bancs ou sur le plancher, Pérose se glissait dans la chambre, se jetait à genoux près du lit sur lequel Arlette, assise toute droite, les yeux grands ouverts, extravaguait en silence. Pérose lui embrassait les pieds et s’endormait en pleurant. Mais au matin, elle se levait en sursaut et lui disait: «Allons, l’important, c’est de préserver notre vie. Allons aider à l’œuvre de justice!» et l’on s’en allait rejoindre la bande qui se préparait à une nouvelle journée de chasse aux traîtres. Mais au bout d’un certain temps, les victimes, dont d’abord les rues étaient remplies, il fallut aller les chercher dans les arrière-cours, les dénicher dans leurs cachettes, les tirer hors des caves ou des greniers des maisons où la bande se précipitait avec des hurlements de mort et de vengeance. «Alors, monsieur l’abbé, dit Arlette, j’ai fini par me laisser aller. Je n’ai pas pu résister davantage. Je me disais: «Si c’est ainsi, c’est donc que c’est juste.» La plupart du temps j’étais comme quelqu’un qui, à moitié endormi, rêve des choses impossibles à croire. À peu près à ce moment, je ne sais pourquoi, la dénommée Pérose me donna à entendre que Scevola était un pauvre diable. La nuit suivante, tandis que toute la bande était profondément endormie dans la grande pièce, Pérose et Scevola me firent passer dans la rue par la fenêtre et me conduisirent au quai qui se trouve derrière l’Arsenal. Scevola avait trouvé notre tartane accostée au ponton avec l’un des hommes de Madrague à bord. L’autre avait disparu. Pérose se jeta à mon cou et pleura un peu. Elle m’embrassa et me dit: «Ce sera bientôt mon tour. Vous, Scevola, ne vous montrez pas à Toulon, car personne ne croit plus en vous. Adieu, Arlette! Vive la Nation!» et elle disparut dans la nuit. J’attendis sur le ponton, grelottant dans mes vêtements en lambeaux, écoutant Scevola et l’homme jeter des cadavres par-dessus le bord de la tartane. Floc, floc, floc! Tout à coup j’ai eu l’impression que je devais m’enfuir, mais ils m’ont poursuivie tout de suite, ils m’ont ramenée et jetée par terre dans la cabine qui avait une odeur de sang. Mais quand je suis revenue à la ferme, j’avais perdu toute faculté de sentir. Je n’avais même pas la sensation de ma propre existence. Je voyais des choses çà et là autour de moi, mais je ne pouvais rien regarder longtemps. Quelque chose s’était en allé de moi. Je sais maintenant que ce n’était pas mon cœur, mais sur le moment je ne me demandais pas ce que c’était. Je me sentais vide et légère; j’avais tout le temps un peu froid, mais je pouvais sourire aux gens. Rien n’avait d’importance. Rien n’avait de sens. Je ne me souciais de personne. Je ne désirais rien. Je n’étais pas du tout vivante, monsieur l’abbé. Les gens semblaient me voir et me parlaient, et ça me paraissait drôle, jusqu’à ce qu’un jour j’aie senti battre mon cœur. – Pourquoi exactement êtes-vous venue me faire ce récit? demanda le prêtre à voix basse. – Parce que vous êtes prêtre. Avez-vous oublié que j’ai été élevée dans un couvent? Je n’ai pas oublié comment on prie. Mais le monde maintenant me fait peur. Que dois-je faire? – Vous repentir!» tonna l’abbé en se levant. Il vit un regard candide [85] levé vers lui et il se contraignit à baisser la voix. «Il faut plonger avec une intrépide sincérité dans les ténèbres de votre âme. Rappelez-vous d’où peut venir la seule aide véritable. Ceux que Dieu a mis à l’épreuve comme il l’a fait pour vous ne peuvent être tenus pour innocents de leurs énormités. Retirez-vous du monde! Descendez en vous-même et abandonnez les vaines pensées de ce que les hommes appellent le bonheur. Soyez à vos propres yeux un exemple du caractère pécheur de notre nature et de la faiblesse de notre humanité, il se peut que vous ayez été possédée. Qu’en sais-je? Peut-être cela fut-il permis afin de conduire votre âme à la sainteté au prix d’une vie de réclusion et de prière. Il serait de mon devoir de vous aider à y atteindre. En attendant, il faut prier pour obtenir la force d’une complète renonciation.» Arlette, baissant lentement les yeux, touchait l’abbé en tant que figure symbolique du mystère spirituel. Quels peuvent bien être les desseins de Dieu sur cette créature? se demanda-t-il. «Monsieur le curé, dit-elle calmement, j’ai éprouvé aujourd’hui le besoin de prier pour la première fois depuis bien des années. Quand je suis sortie de la maison, j’avais seulement l’intention d’entrer dans votre église. – L’église est ouverte au plus grand des pécheurs, répondit l’abbé. – Je le sais. Mais il m’aurait fallu passer devant tous les gens du village: et vous savez bien, l’abbé, ce dont ils sont capables. – Peut-être, murmura l’abbé, vaut-il mieux ne pas mettre leur charité à l’épreuve. – Il faut que je prie avant de m’en retourner. J’avais pensé que vous me laisseriez peut-être entrer par la sacristie. – Il serait inhumain de repousser votre requête», dit-il en se levant et en prenant une clé accrochée au mur. Il mit son chapeau à large bord et sans mot dire, la conduisit par la petite porte et par l’allée qu’il prenait toujours lui – même, et que l’on ne voyait pas de la fontaine du village. Après qu’ils furent entrés dans la sacristie humide et délabrée, il referma la porte à clé derrière lui, et c’est seulement alors qu’il en ouvrit une autre donnant à l’intérieur de l’église. Quand il se fut écarté pour la laisser passer, Arlette sentit une odeur froide comme de terre fraîchement remuée à laquelle venait se mêler un faible parfum d’encens. Dans l’ombre profonde de la nef, une seule petite flamme scintillait devant une image de la Vierge. En lui faisant place, l’abbé murmura: «Agenouillez-vous là devant le maître-autel, et implorez la grâce, la force et la miséricorde qui vous sont nécessaires en ce monde peuplé de crimes contre Dieu et contre les hommes.» Elle ne le regardait pas. À travers les minces semelles de ses souliers, elle sentait le froid des dalles. L’abbé laissa la porte entrebâillée, s’assit sur une chaise de paille, la seule de la sacristie, croisa les bras et laissa tomber son menton sur sa poitrine. Il avait l’air profondément endormi, mais au bout d’une demi-heure, il se leva et, s’avançant jusqu’à la porte, resta à regarder la forme agenouillée sur les marches de l’autel. Arlette, le visage enfoui dans les mains, était en proie à l’ardeur de la piété et de la prière. L’abbé attendit patiemment pendant nombre de minutes encore avant d’élever la voix en un grave murmure qui vint remplir le vaisseau sombre de l’église. «Il vous faut partir. Je vais sonner les vêpres.» À la voir ainsi, complètement absorbée devant le Très-Haut, il avait été touché. Il regagna la sacristie et, au bout d’un moment, entendit le bruit aussi faible que possible que faisait la jupe de satin noir de la fille d’Escampobar dans son costume d’Arlésienne. Elle entra dans la sacristie d’un pas léger, les yeux brillants: l’abbé la regarda avec quelque émotion. «Vous avez bien prié, ma fille, dit-il. Le pardon ne vous sera pas refusé, car vous avez beaucoup souffert. Mettez votre confiance dans la grâce de Dieu.» Elle leva la tête et resta immobile un moment. Dans l’ombre de la petite pièce, il distingua l’éclat de ses yeux baignés de larmes. «Oui, monsieur l’abbé», dit-elle, de sa voix claire et séduisante. «J’ai prié et je me sens exaucée. J’ai supplié Dieu de me garder toujours fidèle le cœur de celui que j’aime ou de me laisser mourir avant de le revoir.» L’abbé pâlit sous le hâle de son visage de curé de campagne, et sans prononcer un mot, il s’adossa contre le mur. |
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